Mobilité, énergie, digitalisation et libre-échange, tels sont les quatre chantiers prioritaires placés par Bernard Gilliot à l’agenda de la FEB.
Lorsque vous avez pris la présidence de la FEB au printemps dernier, vous avez défini quatre chantiers prioritaires : la mobilité, la digitalisation, le libre-échange et l’énergie. Commençons par la mobilité…
B.G. : « La mobilité est devenue un vrai problème ! Un automobiliste passe en moyenne 44 heures par an dans les embouteillages. Dans un pays qui vante sa position au cœur de l’Europe et a fait du transport et de la logistique un des atouts de son développement économique, c’est aberrant. Le problème dépend à la fois des régions et du gouvernement fédéral, et il n’y a pas de véritable concertation. C’est la raison pour laquelle la FEB a rédigé un mémorandum de 50 points afin de conclure un pacte interfédéral en faveur de la mobilité. Il faut évidemment terminer le RER, le gouvernement flamand prévoit d’élargir le ring de Bruxelles entre les autoroutes de Liège et d’Anvers. Bref, des investissements sont indispensables. La FEB plaide depuis longtemps pour des investissements productifs ciblés qui renforceront le potentiel de croissance du pays. Mais parallèlement, il faut aussi inculquer une autre culture du travail, encourager le télétravail, promouvoir les bureaux-relais en dehors des grands centres ou procéder à une certaine délocalisation vers la province, comme c’est le cas chez Tractebel, où une centaine d’ingénieurs vont désormais travailler à Namur. Les technologies modernes peuvent aussi permettre de mieux réguler les flux de circulation. »
La digitalisation est un autre cheval de bataille…
B.G. : « Au niveau des infrastructures de télécommunications, la Belgique est très bien classée à l’échelle mondiale parce qu’elle a l’avantage de disposer d’un petit territoire plus facile à équiper. Nous étions classés à la 6ème place mais nous avons été rétrogradés à la 7ème en raison du retard pris dans le domaine par les pouvoirs publics. Avec un taux de couverture de 91 % pour l’internet à très haut débit, la Belgique figure même en tête du classement européen. Les grandes entreprises du secteur investissent chaque année environ 1,5 milliard d’€ dans les réseaux fixes et mobiles. Elles font leur boulot ! Un des problèmes se situe au niveau de l’utilisation insuffisante du numérique dans les entreprises. Dans le grand public, beaucoup s’interrogent sur l’impact des nouvelles technologies sur l’emploi mais le passage à la digitalisation est devenu inévitable et indispensable. »
La petite diligence…
Un peu comme lors de l’apparition du chemin de fer au XIXème siècle.
B.G. : « Nos ancêtres se sont posé les mêmes questions quand le chemin de fer a remplacé peu à peu les diligences. Des emplois ont disparu mais de nouveaux les ont remplacés. Il ne faut même plus se poser la question ! Il faut absolument accélérer le processus de digitalisation dans les entreprises, ce qui pourrait d’ailleurs nous aider à exporter notre technologie à l’étranger. Il faut aussi développer « l’e-ducation » pour stimuler les compétences numériques des citoyens et leur donner le goût des nouvelles technologies. Il faut commencer dès le plus jeune âge, dans les écoles. A ce propos, le Pacte d’excellence pour l’enseignement en Communauté française va dans le bon sens. Il reste beaucoup à faire, même si la jeune génération jongle avec les smartphones ! Jongler ne suffit pas, il faut intensifier la numérisation dans les processus de fabrication, réussir cette nouvelle révolution industrielle. »
Et que peut faire concrètement la FEB ?
B.G. : « Après deux ans de réflexion, la FEB a publié un Agenda numérique et un plan en dix points. La FEB s’efforce de sensibiliser les entreprises à cette nouvelle réalité. Nous organisons des colloques, des séminaires, des formations. »
Troisième chantier qui vous tient à cœur, l’énergie.
B.G. : « Il y a trois aspects dans ce dossier : le coût, la sécurité d’approvisionnement et les engagements pris à la COP21. Le coût de l’électricité est beaucoup trop élevé en Belgique et cela pèse sur la compétitivité des entreprises. L’Allemagne a choisi l’option d’augmenter le prix payé par le consommateur privé et de baisser le coût de la consommation industrielle. Je ne dis pas que c’est la bonne formule mais il faut absolument trouver une solution à la différence de coût pour nos entreprises par rapport aux concurrents étrangers. »
La FEB a aussi des craintes par rapport à l’échéance de 2025…
B.G. : « En ce qui concerne la sécurité d’approvisionnement, par la voix de Peter Timmermans, la FEB a émis des réserves sur l’échéance de 2025 pour la sortie définitive du nucléaire. La FEB a rédigé un mémorandum qui a été approuvé par tous les secteurs en vue de la conclusion, cette année encore, d’un pacte énergétique. Pour reprendre l’exemple de l’Allemagne, elle a réduit sa production nucléaire mais a augmenté le recours au charbon. Pour l’environnement, ce n’est pas très positif. Il faut être réaliste. Actuellement, 55 à 60 % de la production d’électricité en Belgique provient des centrales nucléaires. Que fait-on en 2025 si les autres sources d’énergie sont insuffisantes ? J’ajoute que la politique énergétique doit s’inscrire dans un cadre européen, plus favorable en terme de coût, d’investissements et de sécurité d’approvisionnement. Cela étant dit, je réaffirme que la FEB est consciente des enjeux environnementaux et que les entreprises mettront tout en œuvre pour respecter les accords de la COP21. »
Osons, ne soyons pas modestes !
En ce qui concerne les échanges commerciaux, vous dites que les entreprises belges devraient regarder plus vers l’est.
B.G. : « Et même vers le sud-est ! La politique protectionniste de Donald Trump étant ce qu’elle est, il faut être réaliste. Nous devons nous intéresser plus qu’aujourd’hui encore aux pays asiatiques, Inde, Chine, Japon et, d’une manière générale, regarder beaucoup plus en dehors de l’Union européenne où nous vendons 70 % de nos exportations. C’est pour cela aussi que nous sommes en faveur du CETA, afin de développer nos relations commerciales avec le Canada. J’ajouterai aussi que nous devons être plus audacieux ! Je ne dis pas qu’il faut agir comme les Néerlandais qui sont capables de vous vendre un produit qui n’existe pas encore mais nous devons avoir plus confiance en nos moyens. Les travaux d’élargissement du canal de Panama sont un bel exemple. Certains prétendaient que c’était un chantier beaucoup trop important et qu’il serait impossible d’y obtenir des marchés. Pourtant, Tractebel y est bien arrivé. Nous sommes souvent trop modestes alors que le sérieux, le savoir-faire et les produits belges sont très appréciés à l’étranger. »
Justement, parlons un peu de la situation économique de la Belgique et de la Wallonie.
B.G. : « Pour les six derniers mois, on observe une stabilité ou une croissance au sein des entreprises. Il n’y a en tout cas aucune baisse d’activité et tous les échos que nous recevons de nos membres sont positifs, ce qui n’était plus arrivé depuis six ou sept ans. Incontestablement, l’économie redémarre et la tendance est à l’optimisme. Nous pensons que le taux de croissance du PIB pour 2017 se situera vers 1,8 % alors que le gouvernement fédéral, par prudence, table toujours sur 1,7 %, un chiffre qui est aussi celui prévu pour la Wallonie. En 2018, la croissance devrait se situer aux environs de 2 %. En ce qui concerne la Wallonie, le taux de chômage y est toujours plus élevé qu’en Flandre – 10,5 % contre 4,5 % – et au-dessus de la moyenne européenne, mais depuis trois ans, il ne cesse de diminuer de mois en mois. Je me pose une question : pourquoi les travailleurs wallons, notamment du Hainaut occidental, ne profitent-ils pas plus du quasi plein emploi de certaines régions flamandes, en particulier de la région de Courtrai ? Les Français des départements du Nord et du Pas-de-Calais le font bien… Le gouvernement Borsu devrait les y inciter ! »
A ce propos, que pensez-vous du changement de majorité en Wallonie ?
B.G. : « Cela devrait sans doute apporter plus de cohérence entre les politiques économiques fédérale et wallonne. J’espère surtout que le Plan Marshall, qui a porté ses fruits, sera maintenu et même accéléré. En ce qui concerne la recherche, qui est un des piliers du plan, je plaide pour la constitution d’un grand centre de recherches wallon, à l’image de ce qui s’est fait du côté flamand avec l’IMEC, à Louvain. Je crois aussi que la Wallonie doit encore augmenter ses parts de marché à l’international. »
Et la politique du gouvernement fédéral ?
B.G. : « Au niveau fiscal, je trouve courageuse la décision de baisser l’impôt des sociétés de 33 à 25 %, de même d’ailleurs que la consolidation fiscale qui permettra de déduire les pertes d’une entité au sein d’un même groupe. Ces réductions ne peuvent qu’encourager les investissements. Je me réjouis aussi du projet de 60 milliards d’investissements dans les secteurs stratégiques… qu’il reste à concrétiser ! »
Parlons, pour finir, du dialogue social et de la rentrée qui s’annonce chaude…
B.G. : « Contrairement à ce que d’aucuns affirment, le dialogue social est maintenu. Le groupe des dix que j’ai l’honneur de présider fonctionne bien. La preuve, l’AIP 2017/2018 a été signé au début de l’année avec, notamment, un accord sur la norme salariale. Par contre, c’est vrai, une divergence est apparue sur la période d’essai et le préavis des jeunes lorsque les négociateurs syndicaux sont retournés devant leurs instances. A propos du climat social, la grève du 10 octobre dans le secteur public était purement politique et je le regrette. »
BIO EXPRESS
- Ingénieur électricien de l’ECAM Bruxelles
- Diplômé de la Business School de l’UCL
- 61 ans, marié 3 enfants (2 garçons, 1 fille)
- A effectué l’ensemble de sa carrière chez Tractebel, dont 5 ans en Thaïlande, de 1997 à 2002
- Executive Vice President du groupe Tractebel Engeneering depuis 2012
- Président de l’ORI, l’organisation des bureaux d’ingénieurs-conseils, d’ingénierie et de consultance.