Président du Conseil wallon du numérique (CdN), Pierre Rion a été chargé par le Gouvernement wallon de négocier un virage que la Wallonie ne peut rater sous aucun prétexte, celui du numérique. Une mission d’envergure que cet entrepreneur devenu Business angel mène tout en consacrant temps et argent à de jeunes pousses.
Comment êtes-vous arrivé au Conseil wallon du numérique ?
P.R. : « Dans le cadre du plan Marshall 4.0, qui poursuit le processus de reconversion de la Wallonie entamé il y a plus de 10 ans, le ministre Marcourt voulait absolument lancer un « plan du numérique » afin que la Région ne manque pas cette nouvelle révolution industrielle qui est à nos portes et… même un peu plus. Le ministre était conscient que pour réussir, il fallait impliquer tous les acteurs économiques, scientifiques et techniques, les opérateurs télécom, le monde de l’enseignement et en premier lieu ceux qui incarnaient le mieux cette évolution et qui avaient déjà recours de manière importante au numérique. Il m’a donc demandé de constituer un conseil pour piloter ce plan. Nous y avons travaillé avec des spécialistes, l’Agence du Numérique et l’aide d’un cabinet de consultance. Il en est sorti un plan comprenant 50 mesures-phares, avec estimation du budget nécessaire et indicateurs de performance. Ce plan a été remis au ministre il y a tout juste un an.»
500 millions pour Digital Wallonia
Et apparemment, les choses n’ont pas traîné…
P.R. : «En effet ! Deux mois plus tard, le plan du numérique du Gouvernement wallon, baptisé Digital Wallonia, était présenté avec un budget sur 4 ans de 503 millions €, alors que nous en espérions 300 ! C’est dire l’importance accordée à ce fameux virage par les autorités régionales… Au départ, le conseil numérique comprenait 22 personnes mais pour augmenter son « agilité », un conseil restreint a été mis en place, avec le président et un expert pour chacun des 5 axes définis par le plan, à savoir l’économie du numérique, l’économie par le numérique, les territoires, la numérisation de l’administration et la formation.»
Et quel est le rôle de ce Conseil wallon du numérique ?
P.R. : «Le Conseil formule à l’intention du Gouvernement des recommandations, des avis et aussi des critiques, la mise en œuvre sur le terrain étant assurée par l’Agence du Numérique.»
Un premier bilan après quelques mois de fonctionnement ?
P.R. : «Trois mesures très importantes ont d’ores déjà été décidées :
1) la création du fonds «w.in.g», un fonds d’investissement de 50 millions € destiné à soutenir les start-up qui pâtissent souvent d’un accès difficile au crédit bancaire. Le mot d’ordre est simple : rapidité des décisions. Un jury d’experts examine le projet, les porteurs du projet doivent recevoir la réponse dans les 48 heures et, en cas d’accord, l’argent à peine quelques jours plus tard ! Depuis début 2016, 200 dossiers ont été traités qui ont débouché sur 25 décisions d’investissements en vue de la création ou du développement de petites sociétés dans le secteur du numérique.
2) l’implantation de 100 nouveaux espaces publiques numériques, où tout un chacun peut venir se former et apprivoiser les nouvelles technologies, en particulier dans les zones rurales. L’objectif est évidemment d’éviter ce qu’on appelle la fracture du numérique entre les couches de population. Il faut insuffler à tous l’esprit du numérique.
3) La mise sur pied du Digital Wallonia Hub, un lieu d’échanges pour les collaborateurs des universités et des entreprises afin de booster la recherche dans le domaine du numérique et d’en accélérer la dynamique. C’est en quelque sorte le 7ème pôle wallon de compétitivité, mais un pôle transversal au service des 6 autres.»
D’autres initiatives vont suivre ?
P.R. : «Oui ! Nous allons organiser une campagne de sensibilisation à l’e-commerce, équiper 200 écoles de la wifi haute performance, soutenir l’organisation de cours facultatifs d’algorithmique – la base de l’informatique – dès l’école primaire, soutenir le mouvement Coder Dojo qui dispense des cours d’informatique le samedi matin et généraliser le plan Open Data qui vise à mettre à disposition toutes les données des services publics afin de susciter le développement d’applications internet au service des citoyens. Je pense, par exemple, aux horaires des TEC mais il y en a beaucoup d’autres.»
La Wallonie ne PEUT pas manquer le virage numérique
Tout semble donc en place pour que la Wallonie ne dérape pas dans ce virage si important vers l’économie numérique…
P.R. : «Une nouvelle révolution industrielle est en marche, la quatrième après l’apparition de la machine à vapeur puis de l’électricité et, enfin, de l’automatisation. La Wallonie doit absolument saisir cette opportunité extraordinaire si elle veut retrouver son rayonnement économique d’antan. Et il y a urgence. Au niveau européen, la région est actuellement dans la moyenne basse et l’objectif est de rejoindre la moyenne haute où l’on retrouve plusieurs régions allemandes, et la Flandre, notamment.»
Vous êtes aussi ce qu’on appelle un business angel, un investisseur qui consacre temps et argent au soutien d’une quinzaine d’entreprises, en particulier des jeunes pousses. Certains de ces business angels sont appelés les »chevaliers blancs wallons ».
P.R. : « On connaît les difficultés de financement des très jeunes entreprises, je viens d’y faire allusion, mais il y a surtout un besoin d’encadrement en coaching. J’y investis de l’argent, je les conseille, je les accompagne dans leurs démarches. L’argent n’est pas ma seule motivation. J’aime voir des projets aboutir et des entreprises se développer dans ma région.»
La mentalité wallonne change
Vous présidez le conseil d’administration d’EVS, la société liégeoise spécialisée dans les ralentis télévisés, de Belrobotics qui produit des tondeuses-robots et de Cluepoint, dans le secteur pharmaceutique. Vous êtes administrateur d’une douzaine d’autres entreprises comme Pairi Daiza, la banque CPH, Onefife et Avia Rent, société active dans l’aviation d’affaires, ainsi que de l’Agence fédérale du commerce extérieur. Vous êtes donc bien placé pour poser un jugement sur l’évolution économique de la Wallonie.
P.R. : « Je constate depuis quelques temps un changement de mentalité. De nombreux jeunes Wallons sont des entrepreneurs dans l’âme et sortent du bois. On a souvent reproché aux Wallons de manquer d’esprit d’entreprise. Cela s’explique par l’histoire industrielle de la Wallonie. Pendant plus d’un siècle, nos parents et nos grands-parents ont bénéficié de la prospérité des grandes usines de l’industrie lourde. On entrait aux ACEC ou à Cockerill et on y faisait toute sa carrière, un peu comme dans la fonction publique. Ce n’est évidemment plus le cas. L’avenir de la Wallonie, c’est son tissu de PME, le haut niveau de ses universités, sa position centrale et sa qualité de vie. Cela suppose esprit d’entreprise et d’innovation et j’observe qu’il y a beaucoup de Wallons prêts à relever ce défi. Seul bémol : le manque de coaches pour encadrer les candidats entrepreneurs.»
Et la frilosité, souvent dénoncée, des banques ?
P.R. : «Je l’ai dit plus haut : il n’est pas facile pour les jeunes entrepreneurs de trouver des financements. Mais le rôle des banques est d’abord de faire fructifier l’argent de leurs clients en sécurité et pas de prendre des risques, encore moins depuis la crise financière de 2008. Or, investir dans des projets innovants, faire confiance à de jeunes entrepreneurs, c’est forcément toujours un peu risqué.»
Quelles sont les solutions, alors ?
P.R. : «Connaissez-vous la formule du triple F : family, friends, fool ? Quand un entrepreneur veut lancer sa société ou la développer, il cherche de l’argent d’abord dans sa famille, puis chez ses amis puis auprès d’investisseurs privés un peu fous, comme les business angels, prêts à risquer une partie de leur patrimoine dans un projet auquel ils croient. C’est souvent la première démarche mais elle n’est pas toujours possible ni suffisante. La Région wallonne offre une série d’outils d’investissements efficaces pour faciliter les différentes phases de création d’une petite entreprise que sont l’amorçage, le lancement proprement dit puis le développement et la croissance d’un projet. Je pense au fonds w.in.g. que je viens d’évoquer pour le numérique mais aussi à la Sowalfin, à la SRIW, aux différents invests régionaux et à des organismes spécialisés comme Wallimage Entreprise. Bref, il me semble que les conditions sont réunies en Wallonie pour faciliter l’investissement et la création de nouvelles activités, que ce soit avec le soutien de personnes privées ou des pouvoirs publics. Il n’y a plus d’excuse pour ne pas entreprendre… »
Un petit clin d’oeil pour terminer. Depuis 25 ans, vous exploitez, avec deux amis, le domaine viticole de Mellemont, dans le Brabant wallon, et vous êtes – aussi – président de l’Association des vignerons wallons.
P.R. : «Cette activité me plaît parce qu’elle fait partie de la culture de la Wallonie, jadis terre de vignobles. Avec mes amis, nous faisions figure de pionniers. Aujourd’hui, il y a près d’une centaine de vignerons en Wallonie et la production tourne autour du million de bouteilles avec de belles perspectives de croissance. A Mellemont, nous produisons, suivant les années, entre 7 et 22.000 bouteilles de blanc, de rosé, de rouge et de bulles. Nous attendons avec impatience le bilan des vendanges 2016… »